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22 mars 2013

Les mots fléchés et le bonnet noir

J'étais face au comptoir de la Comète, dos à la porte. J'entends "Bonjour Nicolas". C'était Odette. Je me retourne. Elle était différente par rapport à d'habitude. On se fait la bise. Je lui demande : "ça va ?"  Elle fond en larmes. 

Je comprends que sa sœur est morte mais j'en reste bouche bée. J'étais persuadé qu'elle était morte avant Noël. Son putain de crabe lui aura laissé trois mois de sursis. Je regarde Odette avec des grands yeux (voulant dire : « Que se passe-t-il ? »). "Ma sœur", elle me dit. 

Elle était tout en noir avec un bonnet. 

Tonnégrande s'étant pointé entre temps : "quoi ta sœur, elle est malade ?" Je le regarde avec des grands yeux (voulant dire : « Abruti, tu ne vois pas qu’elle est en noir ? »). Il regarde Odette et comprend. 

On présente nos condoléances. Je lui demande si elle a besoin de quelque chose (sous-entendu du pognon pour un billet de train) et la soirée reprend son fil. Il était 19h45. 

Plus tard, dans la soirée, j'apprends que Sarkofrance ferme ses blogs. J'en fais un billet, je commente son blog non politique...

Le vieux Joël arrive. Je lui dis : "tiens ! La sœur d'Odette est morte. Il y a deux exemplaires du Parisien, on va pouvoir faire les mots fléchés ensemble". Généralement, je les lui laisse, comme ça, quand il gueule parce que j'ai le nez dans l'iPhone, je peux lui répondre "hé ho ! Tu viens de passer vingt minutes dans les mots fléchés". 

Non ! Je les lui laisse car il vient au bistro pour les faire. Si je les faisais avant lui, il achèterait le journal rien que pour ça et il finirait par ne plus venir au bistro. Il m’a déjà fait le coup. Il se fait avoir à chaque fois : il ne trouve plus de prétexte pour sortir (comme son boulot était de faire des feux d’artifices ou d’autres spectacle nocturne, le vieux se couche à 6 heures du matin et se lève vers 16 ou 17). Alors il revient au bistro au bout d'une semaine ou deux...

Ça fait des années (6 ou 7) que je fais ses mots croisés "par dessus son épaule". Il m'énerve. Il ne va pas assez vite. Dès qu'il trouve un mot, il fait plein de croisements pour vérifier qu'il peut y aller... Du coup, ça m'amusait qu'on les fasse "parallèlement", hier, pour voir le temps qu'il "perd". 

En principe, les mots fléchés du Parisien, si tu commences en bas à droite, tu les fais en première lecture. J'ai commencé en bas à droite. Il a, comme toujours, commencé en haut à gauche. Ça m'énerve mais il a raison : il cherche l'exercice intellectuel alors que je ne cherche qu'à empêcher que le serveur foute un journal à la poubelle sans que les mots fléchés soient faits. 

Dès que j'ai terminé les miens, j'ai regardé où il en était. Comme toujours. Il n'a rien trouvé en haut à droite et était reparti du bas. Il avait fait les deux tiers. 

Il a terminé cinq minutes après moi mais il me manquait une lettre. C'est con, les mots fléchés. 

Ce matin, j'arrive à la Comète. J'annonce à la patronne le deuil d'Odette pour qu'elle ne soit pas surprise à midi. Elle me dit : "moi aussi j'ai une mauvaise nouvelle pour toi". Je fais les gros yeux (voulant dire : « Allons bon, vous avez enfin pris la décision de fermer le dimanche, je vais bouffer où, moi ? »). Elle me répond : « Dorénavant, on sera fermés le samedi soir ». Ah merde ! Je rétorque : « Ben y'a d'autres bistros... »  

J’arrive au métro. La ligne 7 était saturée. Troisième incident de la semaine. Itinéraire bis (il me fait perdre cinq ou dix minutes).

J’avais écrit ce billet dans le RER (je reprends au paragraphe précédent) et je réfléchissais à un titre pour ce billet. Juan m’avait envoyé un message que j’ai pu lire en sortant. Je pensais donc à son blog tout en cherchant un titre pour mon billet. Le type qui vendait « l’itinérant » à la sortie avait un bonnet blanc. J’ai trouvé le titre du billet. Et je me suis rappelé d’un tweet reçu hier. Un type disait, en gros : j’aime bien de tels billets de @jegoun (à propos du blog politique), c’est quand même autre chose que ses billets en mode pleureuse.

Je n’avais pas trouvé de réponse à lui faire. Il me fallait le remercier, évidemment, pour la première partie de son tweet et l’insulter copieusement pour la seconde. Je vais lui répondre maintenant.

« Merci beaucoup, cher ami, mais espèce de connard, quand comprendras-tu qu’on tient des blogs personnels, pas des tribunes politiques ? Je ne suis pas candidat à des élections. Tu peux ne pas lire mon blog mais, si tu le lis, tu ne le prends pas pour ce qu’il n’est pas. Tu ne me prends pas pour ce que je ne suis pas. Vous commencez tous à me casser les burnes à nous regarder comme des monstres alors qu’on n’est que des cons comme vous. »

Heureusement, ça ne tient pas en 140 caractères. Juan, tu peux revenir avec un autre blog, un autre nom. Redevenir anonyme et dire ce que tu as envie de dire.

26 février 2011

On va dire que ça va. Henri est sorti de l'hôpital.

C’est Odette qui me l’a dit à midi. Je vous ai déjà parlé d’Odette et Henri, il sont des « seconds rôles de ce blog », mais je me rappelle de ce billet du blog politique, en décembre 2009, c’était une des premières fois où je parlais dans ce blog politique de mes vagues relations avec des braves gens du Kremlin-Bicêtre où je me laisse aller une vague émotion alors que je ne veux que décrire une des facettes de la misère ordinaire.

Alors je vais résumer ce billet. Lui 65 ans, elle cinq de moins. Lui, ferrailleur à l’époque, elle au RMI. Il avait eu un vague accident l’empêchant de bosser donc se retrouvait sans la moindre ressource, à part une vague retraite. Seul le RMI d’Odette permettait de subvenir aux fins de mois. Alors je leur avais prêté 70 euros (je me rappelle du montant à cause du titre de mon billet « les 70 euros du bout du monde »). Ces 70 euros avaient semblé être pour eux une telle délivrance que ça m’avait marqué, j’avais éprouve le besoin de rappeler que, parfois, loin derrière nos claviers de blogueurs politiques, la misère était proche.

Depuis cette époque la santé d’Henri faisait des hauts et des bas. Le diabète, … Le mal du 21ème siècle si j’en crois les propos des toubibs suite à mon dernier déboire mécanique.

Il y a environ un mois, il était hospitalisé, dans un lointain hôpital des Yvelines. Odette n’a jamais été fichue de me donner le nom du patelin. Si j’en crois sa description, à vue de nez, c’est dans le coin de Saint Germain en Laye. On s’en fout. Trop loin pour qu’elle puisse aller le voir, elle qui n’est probablement jamais sortie du 94 autrement qu’en avion, au départ d’Orly, pour aller voir sa famille au Portugal.

Depuis, il lui ont coupé un à un les cinq doigts d’un pied. A raconter ça, après, c’est presque rigolo – trois mois de rééducation et il remarchera, pour peu que son diabète se stabilise – mais j’imagine leur torture, pendant ces dernières semaines, ne sachant pas ce qu’ils allaient devenir. Froidement, j’imaginais aussi les angoisses d’Odette, la retraite d’Henri payant les charges de la maison, à la mort d’Henri, Odette n’aurait eu qu’une solution : repartir au Portugal, dans sa famille, sans RMI pour se payer des Kir, vivant heureuse en attendant la mort. Une trentaine d’années si tout va bien.

Nous-mêmes étions à moitié torturés. Sans être des amis, c’étaient des personnages du décor, que nous voyions tous les midis, les samedis et dimanches, leur payant un coup à l’occasion et papotant cinq minutes. Dans le temps, on les voyait presque tous les soirs, jusqu’à ce qu’il commence à baisser. Pendant 10 ans. Alors on s’inquiétait. On n’avait des nouvelles que le soir, par l’intermédiaire du patron de la Comète quand il avait eu le temps de discuter avec Odette le midi, et des nouvelles à peine précises, le week-end, Odette étant incapable de nous décrire la maladie d’Henri.

Je ne vous parle même pas de mon état d'esprit : les toubibs pensant que j'avais du diabète (je vous rassure, c'était une fausse alerte), je m'imaginais comme Henri, les doigts coupés les uns après les autres. Pas très bon pour le moral...

Odette était contente, ce midi. Henri est rentré à la maison. Il arrive à marcher, un peu, de la cuisine à la chambre, en s’appuyant sur un machin, là tu sais, à moitié carré avec quatre pieds et une barre de chaque côté et devant pour s’appuyer, ah oui ! un déambulateur, oui, c’est ça.

Il y a dix huit mois, il était ferrailleur, trimbalant des tonnes de métaux, démontant des appartements, des bistros (le métal d’un comptoir récupéré vaut très cher), écumant les rues à la recherche d’encombrant jetés par les gens.

S’il n’arrive pas à bosser, d’ici quelques mois, il faudra qu’ils disent adieu à leur train-train, à leurs deux apéros du midi, voire trois ou quatre, le week-end, si Tonnégrande ou moi sommes dans le coin et de bonne humeur. Ils vivront alors cloîtrés dans leur petit pavillon pourri de banlieue, qu’ils ont réussi à acheter il y a trois ans, jusqu’à ce qu’ils soient expulsés à l’occasion de quelque opération immobilière, telles celles qu’on voit de plus en plus, le long de la Nationale 7, au nord de Villejuif.

Mais Odette est contente. Henri est rentré à la maison. Il arrive à faire quelques pas entre la cuisine et la chambre.