Déjà, le gars, il ne ferme pas la porte des toilettes quand
il va pisser et il le fait au milieu de la cuvette comme s’il voulait que j’entende
bien qu’il ne fait pas à côté. Il tire la chasse en entrant et en sortant. Il
est bruyant. Quand je fais la sieste, juste après déjeuner, je l’entends
mastiquer. Et toute la soirée, il tousse, se mouche, renifle, déglutit bruyamment et va jusqu’à lancer
quelques pets. La nuit, il se réveille et va faire des gargarismes dans la
salle de bain pour se décoincer la gorge.
C’est mon nouveau colocataire, celui qui partage ma chambre
depuis que j’ai changé de service et suis en « hôpital de semaine ».
Son téléviseur fonctionne jusqu’après 23h30, sans le son vu
qu’il y a des écouteurs, mais les changements de luminosité suffisent pour me
perturber et m’empêcher, même pas de dormir, mais de rentrer dans cette phase
où l’on se laisse aller en attendant que Morphée bouge ses fesses (et surtout
ses bras).
Une grande partie de la journée, il piétine. Je ne sais pas
ce qu’il fout. Par exemple, quand il va se laver les dents, il va une première
fois ouvrir la porte de la salle de bain, va chercher sa brosse à dent, retourne
prendre sa serviette, revient, ferme, se les lave, ressort, retourne prendre
son matériel (pour ma part, je fais tout ça en un seul voyage).
Sur la photo, vous voyez une zone de la chambre avec son
fourbi. Le mien tient dans mon armoire. Il ne se rend pas compte que la
vue est dérangeante. Rien de bien grave mais, déjà qu’on est à l’hôpital, on a
l’impression qu’on en a pris un du tiers monde, comme si on était à Calcutta… Quand
on est arrivé, j’ai commencé par ranger mes affaires : tout dans l’armoire
sauf la brosse à dent et le dentifrice, sur la tablette de la salle de bain et
la serviette de douche, dans le machin ad hoc. Il m’a fait comprendre que la
salle de bain devait rester un territoire neutre et qu’on ne devait rien y laisser.
Dont acte.
Le premier matin, il m’a fait comprendre que je l’avais
réveillé en reposant mon verre d’eau sur la tablette (c’est vrai que cela fait
du bruit) mais il ne s’est pas rendu compte qu’il m’avait gêné au moment de m’endormir
puis réveillé plusieurs fois dans la nuit. Je suis resté calme.
Ses défauts pourraient s’arrêter là mais, en plus, il est
horriblement bavard, par moment. Il ne parle pas très souvent (nous avons deux ou
trois vraies conversations par jour) mais il ne sait pas s’arrêter, même quand,
visiblement, je ne suis pas intéressé. Ce matin, par exemple (pour vous montrer
que je ne suis pas « le seul » caractériel), c’est le toubib qui s’est
un peu énervé quand le gars racontait ses malheurs. Le doc lui a dit, à peu
près : « mais je sais tout ça, vous me l’avez raconté hier et avant-hier
et, en plus, mon boulot est essentiellement d’étudier vos dossiers pour
garantir le bon déroulement des soins ».
Il me parle un peu de son métier (il travaille dans l’immobilier
où il a pris la suite se son père). Je lui ai dit le mien (mais je défis
quiconque de deviner précisément ce que je fais, j’estime que ça n’intéresse
que ma hiérarchie et les proches collègues, je ne vois pas l’intérêt d’en dire
plus à des gens qui ne sont pas capables de comprendre, non pas par bêtise mais
à cause de la spécificité). Il a compris que j’étais informaticien (il n’a pas
totalement tort) et m’a dit qu’il l’avait été avant la retraite de son père…
J’ai eu droit à des heures d’explications sur ce qu’il
faisait (surveiller des salles d’ordinateur et appeler des spécialistes en cas
de problème).
Au cours d’une discussion, il m’a dit qu’il n’aimait pas les
smartphones parce que ces machins ne font que ce qu’ils veulent. Il a gardé un
vieux téléphone à clapet et trouve que c’est bien plus tendance compte tenu du
fait qu’ils ont les mêmes dans Star Trek, même que Univesal, les producteurs, touchent
des dividendes sur la vente de ces machins (c’est probablement faux mais les
rumeurs ont la vie dure).
Il a surtout réussi à me faire comprendre que tous les
utilisateurs de ces machins étaient probablement des parfaits abrutis (merci
pour moi qui y passe plus de 10 heures par jour, à l’hôpital, pour lire,
bloguer…).
Il n’arrête pas de donner des conseils. Vous devriez
marcher. Vous devriez ne plus manger de sel ou de sucre. Vous devriez demander
des écouteurs pour la télé. J’en passe. Tant pis si je marche (j’ai un peu que
ça à faire et je reviens de loin), si je fais déjà attention à ce que je mange
(au niveau sel et sucre, pas du gras…), si je ne regarde pas la télé.
A part ça, la santé va bien. J’ai encore perdu du poids (1,2
kg de puis la dernière pesée, de mémoire). Les séances de vélo « d’appartement »
sont pénibles (les selles font mal au cul et elles sont très longues). La gymnastique
et la musculation ont tendance à m’amuser ; disons que c’est une bonne
distraction même si je serais mieux au bistro.
Que je vais revoir après-demain !
Evidemment, mon colocataire connait mieux la bière et la charcuterie
que moi. Il connait mieux la médecine que les docteurs. Dès le premier jour, il
m’a expliqué qu’il ne fallait pas regarder le compteur de vitesse du vélo mais
uniquement le voyant avec le rythme cardiaque, pour ne pas le faire trop
monter.
J’ai renoncé à lui expliquer que le but de nos pédalages est
de faire travailler le palpitant.