J’ai appris la mort de mon copain Philippe. Il allait avoir
65 ans le 23 de ce mois, il me semble. Je n’en sais pas plus. Je l’ai connu en
1980 et on s’est perdus de vue une vingtaine d’année plus tard. On s’est
retrouvés dans les réseaux sociaux (Twitter et Facebook) mais on ne
communiquait pas. Tous les jours, en likant les tweets où je diffusais mes
billets de blog, il me rappelait qu’il était là, comme une sorte d’ange
gardien. Je n’ai jamais su s’il appréciait mes billets ou s’il ne faisait que
me saluer.
Politiquement, nous n’étions pas éloignés (mais la politique
n’était pas au cœur de nos relations). C’est un peu lui, tout de même, qui a
provoqué mon affirmation publique pour ma chose du même métal. En 1990, il
m’appelait « le jospinien ». Non seulement, j’étais souvent
d’accord avec celui qui était ministre de l’Education nationale mais, en plus,
il parait que j’avais une réelle ressemblance physique avec lui (les lunettes,
la coiffure…).
Parfois, il m’appelait Jegoun ou yegoun pour se foutre de
certains de mes « traits juifs » comme, par exemple une radinerie à
l’excès dans certains cas alors que j’étais déjà flambeur pour les
sorties ! J’ai déjà raconté comment mon pseudo sur le web était devenu
« jegoun » (njegou était déjà pris quand j’ai créé mon premier compte
chez Wanadoo) mais l’ombre de Philippe planait au-dessus de moi…
Quand on s’est connus, j’avais 14 ans. J’étais membre de la
section locale d’une association, à Loudéac. Lui était jeune responsable dans
la section de Lannion. Nous nous voyions à l’occasion d’activités
départementales, notamment pendant des séjours de vacances à Pâques et à l’été.
Dès l’été 1980, il nous avait à bonne, avec Dominique. Progressivement, les
copains de Loudéac, Gilles et un autre Philippe, puis le jeune Marc, se sont
joints à nous. Il a commencé à vernir de plus souvent à Loudéac, faire la fête
avec nous, notamment pour les réveillons et il s’était lié avec les autres
personnes de la bande.
La fête ? Même si j’avais commencé à boire quelques
bières avant, j’ai pris ma première vraie cuite à 17 ans, pendant les vacances
de Pâques, alors qu’il était directeur d’un de nos séjours. N’y voyez pas de
mal, au contraire ! Il se doutait bien que des loustics comme nous
n’allions pas tarder à faire le mur pour picoler alors il préférait nous garder
près de lui pour nous surveiller. C’est un des principes éducatifs que j’ai
appris de lui quand j’ai pris des galons dans l’association, non pas
d’encourage la boisson, mais de faire semblant d’ignorer les conneries des
mômes pour leurs éviter de faire des conneries plus graves. Par exemple, s’ils
fumaient en cachette dans les chiottes, je faisais semblant de ne rien voir
pour qu’ils n’aillent pas mieux se cacher, voire faire le mur.
Ainsi, nous avons « grimpé » les échelons de
l’association. Je crois qu’il a été responsable du groupe de Lannion,
responsable départemental et membre de l’échelon régional. Quant à moi, je suis
devenu trésorier départemental puis régional et surtout directeur adjoint de
gros centres de vacances puis directeur. Il a toujours été à mes côtés, comme
une espèce d’éminence grise. Je prenais une responsabilité, il s’arrangeait
pour être près de moi, il se désignait, par exemple, comme responsable du
matériel. Un protecteur.
Tout ça s’est terminé en 1996, pour moi, quand j’ai quitté
les instances autres que locale de l’association. Lui a continué. Par la suite,
nous sommes partis quelques fois en vacances ensemble, avec Gilles mais tout
s’est terminé au bout de peu de temps. Nous retrouver dans l’association nous
« fédérait ». Parallèlement, nous avons eu nos carrières
professionnelles. Lui a obtenu une mutation de Paris à Lannion et, moi, j’ai
commencé à revenir au bled de moins en moins souvent car je n’y étais plus
appelé par des activités associatives.
Ainsi va la vie.
Mais reprenons quelques années avant.
Au début des années 80, je crois, il a passé un concours de
la fonction publique et est « monté à Paris ». Pour ma part, j’ai eu
mon bac, fait le minimum d’études puis ai fini par trouver un emploi à Paris.
Il m’a alors pris sous son aile, m’a fait découvrir la capitale, a partagé avec
moi ses loisirs et surtout son goût pour les petits restaurants sympathiques…
Pascal (que j’avais connu par la même association et qui
était proche de Philippe) se joignait souvent à nous mais nous n’avions pas les
mêmes goûts en matière de restauration, il préférait quand nous allions chez
Chartier ou quand ce n’était pas son tour de payer – je n’ai aucune nouvelle de
lui depuis cette époque.
Nous allions souvent à des concerts. Pascal était un fan de
Jonathan Richman (et il m’avait fait partager son vice bien avant mon arrivé à
Paris, dès 1984, je crois). Il nous a emmené deux ou trois fois le voir au New
Morning. Quant à moi, je les avais trainés à un concert de la Mano Négra, à
l’Olympia. C’était fabuleux. Un des plus grands groupes français de l’époque
dans cette salle mythique ! Deux heures et demie de prestation non-stop…
(le tout pour 65 francs, autant dire rien).
Pascal était un peu plus âgé que Philippe, il avait donc
près de dix ans de plus que moi mais il m’a toujours eu à la bonne dans le
cadre de l’association. Il n’empêche que, à part certains groupes musicaux,
nous n’avions pas grand-chose en commun. Politiquement, il était de gauche mais
très fermé, se fâchant dès que nous n’étions pas d’accord. Alors, quand
Philippe a quitté Paris, nous avons arrêté de nous voir. Mais ça montre aussi à
quel point Philippe était fédérateur ! Et c’est grâce à lui que je suis resté
en contact avec plein de copains.
Les restaurants ! C’était donc son dada. Je me rappelle
quand on encadrait des centres de vacances et quand un pique-nique était prévu
pour les mômes, nous trouvions toujours des prétextes pour nous éclipser et
finir autour d’une bonne table. Nous avions à peu près les mêmes
goûts genre « bistro français pas trop cher mais de qualité »
mais c’est surtout lui qui me poussait (j’étais plutôt du genre à trainer au
comptoir ou à organiser des bouffes à la maison) mais il n’avait franchement
pas à me pousser… Quand il a quitté Paris, nous nous voyions surtout en
Bretagne et toujours avec une bonne bouffe comme prétexte quand on était hors
du cadre associatif.
Le « pas trop cher » a vite fini par être une
notion relative. Nous n’avions pas les moyens de nous offrir des étoilés mais
on ne rechignait pas à quelques extras… Je me rappelle un déjeuner au
« Grand Largue » à Port Navalo ! C’était géant avec des huitres
chaudes au caviar en entrée par exemple. Je me rappelle le montant que j’avais
dû payer (nous alternions) : 977 euros. Bah ! Vous me direz que ce
n’était que 75 euros chacun mais c’était il y a près de 40 ans et nous n’avions
pas des salaires spécialement élevés. Je me rappelle même qu’il avait donné un
billet de 100 francs, en pourboire ! Cela me paraissait délirant. C’était
Philippe…
Enfin, on ne peut pas faire de billet sans évoquer sa tenue
vestimentaire : il était toujours en costume, généralement noir, avec une
chemise en soie (ou imitation), même quand nous étions dans des centres de
vacances à faire des activités manuelles avec des gamins. Souvent, il avait une
longue écharpe rouge. Je n’ai jamais compris pourquoi il ne s’habillait pas
comme les autres (shorts, jeans…) mais il avait une certaine classe et,
parfois, ça ne manquait pas de piquant, comme pour nos réveillons quand il mettait
un ridicule chapeau triangulaire…
Pendant les centres de vacances, il était connu pour
l’organisation de grands jeux, sur une journée, avec une cinquantaine de gamins
à la recherche d’indices, de points… dans les bois ! Tout le monde
courrait dans tous les sens. Les autres animateurs (dont moi…) ne comprenaient
absolument rien aux règles mais les mômes étaient à fond de dedans. Il gérait
ainsi presque tout seul et avait toujours prévu une longue montée en charge de
l’intensité du jeu.
Une année, en 1985, je crois, il avait décidé que ma 2CV
servirait « de prison ». Je pense qu’on arrivait à y faire monter une
quinzaine de gosses qui sautaient dans tous les sens pour vérifier les
suspensions… J’étais le seul inquiet.
Ne dites rien à mes parents, hein !
Et mes pensées à ses parents et à ses proches.
Voila une publication qu'il ne likera pas. Moi non plus.
L'association était les Eclaireuses et Eclaireurs de France. J'avais horreur du foulard et ne le portait jamais. Il s'en séparait rarement "en activité" ce qui fait qu'il le portait par dessus son costume. Qu'est-ce qu'on a pu se foutre de sa gueule.
P.S. : ne voyez pas de tristesse dans mes propos (ça
serait faux-cul, je ne l’ai pas vu depuis si longtemps !). Simplement de
la nostalgie pour une autre époque, près d’un tiers de ma vie. Des souvenirs
d’un mentor.
Te lire m’a plongée dans la même nostalgie, le souvenir des réunions au "local", des randonnées du dimanche et autres jeux de piste et
RépondreSupprimerbien sûr les camps d’été à la montagne avec la cuisine "dégueu" cuite au feu de bois, les grands rassemblements scouts et guides etc.
(J’adorais mon foulard bordeau et bleu et tous mes insignes.)
Hélène
Nous, on cuisinait bien… ;-)
SupprimerRien à te dire sinon que tu as mon soutien amical total. C'est dur. J'ai perdu ma tante (la maman de mon parrain) y a 10 jours. Et le président de ma promo, un ami proche qui avait mon age, en début d'année.
RépondreSupprimerTon billet est beau. Mais on est pas préparé pour les départs de ceux qu'on aime. Tu le sais, tes parents ne sont plus là.
Ton ami du Gard pense à toi. Parce qu'après y a ceux qui restent...
Bon courage