En trainant dans Facebook, je suis tombé sur le plan des
derniers kilomètres de la dernière étape du Tour de France, celle qui se
termine généralement sur les Champs-Elysées. J’ai commencé à la regarder pour
savoir à quoi nous allons être mangés. Comme beaucoup de Français, je passe des
heures, tous les mois de juillet, devant mon poste pour voir ces pauvres gars
pédaler, me prêtant un peu au jeu, soutenant, depuis mon fauteuil, des gugusses
que j’aime bien ou des champions que j’admire.
La dernière étape est souvent très chiante, avec tous ces
tours des Champs. Elle finit généralement au sprint et on s’emmerde jusqu’à
dernière descente avant d’espérer un final en beauté, si possible autrement qu’avec
un sprint massif. Cette année, la monotonie est rompue par un détour vers
Montmartre, avant le dernier tour des Champs.
Je n’ai absolument pas les compétences pour juger cela à un
niveau sportif. Je me dis qu’on aura peut-être des échappées et que le suspens,
y compris pour le maillot jaune final pourrait durer jusqu’au bout. Et surtout que
ça sera moins chiant que d’habitude.
La semaine dernière, Miranda est morte. C’était l’épouse de « Marcel
le fiacre », grand copain « du vieux Jacques », tous deux anciens
éminents personnages de mon blog. Miranda avait notamment organisé les obsèques
du vieux, sachant que le fiacre était mort quelques années avant. Un tas de
souvenir de cette époque, où ils faisaient les 400 coups et où nous nous
retrouvions très souvent à la Comète pour raconter des souvenirs.
Parmi eux, il y a celui de cette dernière étape du Tour
quand le peloton était passé devant la Comète (l’année de l’inauguration du
siège du Crédit Lyonnais qui se trouve un peu plus haut). Nous avions mangé à
la Comète et attendu le passage. Fatalement, nous étions un peu chauds et mes
deux vieux étaient franchement pompettes. La « nationale » était en
travaux et j’avais aidé le fiacre à traverser la moitié la plus proche, la
course passant sur la seconde. Il nous avait fallu enjamber des barrières et
plot de sécurité.
En fait, on n’avait pas vu grand-chose de la course (les
coureurs passent trop vite) et j’avais passé une partie de mon temps à prendre
des photos avec l’iPhone (ce qui est complètement con, on ne les regarde jamais ;
depuis, j’ai arrêté de photographier tous les événements auxquels j’assiste, me
contenant de quelques clichés alors que, maintenant, à chaque fois qu’il se
passe quelque chose, on voit des milliers de types avec leurs smartphones. Ils
sont ridicules.
On avait bien rigolé et Marcel était content (il faisait
beaucoup de vélo… Je vais essayer de retrouver des photos, il faut bien que celles
que j’ai prises savent à quelque chose).
Miranda est la quatrième personne, sur cinq, dont j’ai
appris la mort, en trois semaines, toutes ayant un rapport avec la Comète, même
Didier Goux qui y est déjà venu. Je voulais faire un billet pour dire à quel
point il me manque mais ça aurait été difficile à expliquer. Je pense à lui en
rédigeant mes billets de blog, cherchant à deviner ce qu’il en aurait pensé et
les critiques qu’il aurait pu faire, voir les reproches si cela concernait mon
piètre maniement de la langue. Cette fois, je l’imaginais se dire : « mais
il nous fait chier avec ses souvenirs », tout en sachant qu’il aimait bien
ma manière de rédiger ce qu’il appelait « des billets de rien ». Nous
échangions beaucoup par SMS, souvent à propos de séries télévisées ou de films,
mais aussi pour se signaler des tweets, des articles… qui montraient les
délires de notre société. Nous étions politiquement opposés, il était un grand
lettré alors que moi, heu… Il m’avait tout de même fait prendre conscience des
dérives de l’utilisation de la langue et nous étions d’accord avec tous les
délires « modernistes » de nos camarades, souvent de gauche. Avant de
le connaitre, d’ailleurs, je n’osais pas en parler dans le blog avant de le
connaitre.
A propos de tout cela mais aussi bien sûr de l’amour des
blogs, nous étions très proches, sans doute réactionnaires, et devenus amis.
Par contre, nous n’échangions jamais par SMS sur des choses
personnelles, comme la santé, et je dois avouer que je suis tombé sur le cul
quand j’ai appris, par Catherine, que la fin était proche.
Catherine était bien sûr son épouse et nous continuons à
échanger sur plein de trucs. Catherine était aussi le prénom de mon grand
copain de bistro, « le vieux Joël ». Nous passions toutes les soirées
ensemble, allant de l’Aéro à la Comète, en passant par l’Amandine où nous nous
égarions dans les mots fléchés de France Soir. J’avais horreur quand le vieux
Jacques les terminait avant nous, comme si nous avions des droits particuliers
sur le journal du bistro, comme s’il nous privait d’un moment de plaisir rituel…
Je l’avais engueulé. Il était très fort en morts croisés mais avait la manie de
remplir toutes les grilles passant sous son nez alors que je n’ai jamais fait
les mots croisés d’un journal de bistro quand ils étaient très faciles pour moi,
préférant les laisser à des gens qui y passeraient plus de plaisir.
Finalement, j’avais converti le vieux Jacques au sudoku et
il avait fini par délaissé les mots croisés.
Sauf à une époque, Jean, le patron de la Comète, me demandait
de remplir les grilles en prenant mon café du matin pour emmerder un de ses
clients qui passait trop de temps sur le journal à midi. On est cons, des fois…
En regardant la carte de l’étape du tour de France, j’ai vu
qu’il y avait une artère qui s’appelait « quai Jacques Chirac ». Je
pense qu’elle avait été inaugurée lorsque j’étais malade et que j’avais complètement
zappé l’information. J’ai passé du temps à vérifier cela puis, de fil, en
aiguille, je me suis intéressé à l’histoire du Quai Branly…
Surtout, cette carte est sur un coin de Paris, du 8ème
arrondissement, que je connaissais bien. Le premier cabinet de conseil pour lequel
j’ai bossé, en 1987, avait son siège rue Marbeuf, et le premier client chez qui
j’ai fait une véritable longue mission, de 1996 à 2003, était rue de Berry. C’est
justement vers cette époque j’ai commencé à fréquenter les bistros de Bicêtre et
donc à fréquenter les lascars dont je parlais.
Comme c’est près des Champs Elysées, de l’Etoile, de l’Avenue
Georges V, du faubourg Saint Honoré, avec des habitants très riches, les gens ont
une vision faussée de ces coins. Ce sont, en fait, des petits villages, avec
une vraie vie ! Mais même quand on parle de quartier, à Paris, les gens se
trompent. Ils ont une image, peut-être en rapport avec ce que l’on voit dans « Emilie
à Paris ». Ils s’imaginent des bistros qui sont de vrais restaurant et où
il faut lâcher cinquante balle pour en entrée plat dessert, ils pensent que les
fromages et « marchands de primeurs » sont fréquentés par « les
vrais gens du peuple »…
Or, les villageois s’en foutent un peu. Ils vont chez le
fromager parce qu’il n’y a pas de supermarché dans le coin et se retrouvent
comme tout le monde, au comptoir des bistros, à raconter des conneries avec les
copains.
Ce qu’il y avait d’amusant, tout de même, c’est de rencontrer
des gens plus ou moins connus. Par exemple, un petit neveu de Mitterrand
fréquentait le même bistro que moi. Henri Lecomte habitait dans le quartier et
faisait ses courses chez l’épicier arabe en face. Micheline Dax passait
parfois. Il parait qu’elle venait quelques fois avec ses copines actrices,
toutes connues. Le personnel du Taillevent venait boire des cafés avec nous, pendant
le service…
C’est fou ce qu’une simple carte peut faire remonter comme
souvenirs…
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