13 février 2015

Le serveur nul

Avant les vacances de Noël, j’avais pondu un billet à propos du serveur qui allait remplacer l’ancien qui partait en retraite dans le bistro où je bouffe le midi. J’avais dit qu’il était parfait ce en quoi je m’étais vautré lamentablement : il ne faisait pas l’affaire et a été rapidement lourdé. L’ancien est revenu une semaine pour en former un autre. C’était rigolo, comme si c’était une formation au pas de charge, avec un tas d’ordre :
  •        Tiens, le monsieur semble avoir fini, tu peux lui demander confirmation, retirer son assiette et lui demander s’il veut autre chose,
  •        Tiens, les clients sont partis, débarrasse ce coin de comptoir,
  •      Tiens, puisque tu as pris la commande, amène le pain et les couverts, ils ne viendront pas tout seul,
  •          Tiens, mais tu feras la vaisselle plus tard, vérifie donc si les clients n’ont besoin de rien,
  •        Tiens, ne laisse jamais rien trainer sur le comptoir, ramasse au fur et à mesure sinon tu seras dans le jus et ne seras pas où accueillir les nouveaux clients,
  •         Tiens, tu n’as rien à faire pendant une ou deux minutes, commence ta vaisselle, sinon tu ne seras jamais prêt à 15 heures…


De fait, j’ai plus appris en une semaine intensive qu’en trente ans de comptoir. Pourtant, j’ai un bon instinct. Depuis, j’essaie de prendre en défaut les serveurs de la Comète mais je n’y arrive pas.

Par contre, depuis que l’ancien est parti, c’est le bordel. Le remplaçant du remplaçant ne fait pas l’affaire, à un point que je me demande depuis si je ne vais pas intervenir. Ce midi, je me suis presque décidé à le faire car, en plus, il mettait ses propres boulettes sur le dos de ses collègues, du genre : « ah mais j’avais demandé à mon collègue de faire le sandwich » ou « c’est en cuisine qu’ils sont dans le jus. »

Si on ajoute à cela qu’une bande de clients abruti traine depuis une semaine ou deux au comptoir et font du bruit, j’ai bien envie de changer de crèmerie. Tiens ! Je parlerai de ces gars dans mon blog geek d’ici peu.

Intervenir ? Que puis-je faire ? En parler au patron. Je ne suis pas une balance et, surtout, je m’interdis d’entrer dans les affaires d’un bistro. En outre, celui-là est le seul où je suis habitué depuis plusieurs années dont je ne connais pas les patrons. Dans l’histoire de la Comète, pourtant, je suis intervenu trois fois, je crois. Les trois fois, j’avais raison, non pas sur le fait d’intervenir mais sur le fait que les agissements du serveur n’allaient pas dans le sens des intérêts de la maison.

Hop ! Je vais vous les raconter.

La première fois, c’était le soir où Bruno nous a annoncé qu’il s’arrêtait, qu’il ne reprenait plus la gérance, donc en juin 2010. Alors que les autres clients étaient partis. Quand tous les clients étaient partis, avec Bruno, on a discuté longuement de ce qui n’avait pas fonctionné dans son bistro et il avait complètement zappé le personnel du soir (tous les midis, il était là) dont deux proches à lui qui étaient nuisibles. Je voulais le lui dire mais il ne m’a pas laissé parler, ou, du moins défendait leurs conneries. Dès le début, je n’avais pas pu les blairer tout en ayant une certaine affection pour eux et en me disant que je serai toujours dans le quartier après leur départ. En gros, dès que le patron partait, les clients en salle étaient servis à peu près normalement s’il y en avait beaucoup mais dès qu’ils avaient l’occasion de se relâcher, c’était le bordel dans le bistro. Ils allaient acheter des bouteilles de whisky à l’épicerie d’à côté et se pochetronnaient. Je me suis toujours demandé s’ils ne tapaient pas dans la caisse ou ne vendaient pas des verres à partir de bouteilles qu’ils avaient eux-mêmes acheté. C’est un truc que je ne supporte pas : la tenue d’un bistro nécessite une confiance entre le patron et les salariés qui bossent quand il n’est pas là… Je me répète : il ne m’a pas laissé parler alors que je voulais le mettre en garde pour de nouvelles affaires. J’aurais crié : ne prends pas de serveurs à trop forte personnalité, ils se prennent pour le patron et font ce qu’ils veulent.

La deuxième fois, c’était la patronne qui m’avait demandé ce que je pensais d’un jeune serveur qui bossait là depuis quelques temps. Si elle me posait la question, c’est qu’elle savait bien qu’il y avait un truc. Or, je savais, et pas elle, qu’il allait partir dans moins d’un mois et visiblement pas elle. Nous étions devenus très potes et il me faisait des confidences. C’est d’ailleurs ce que je lui reprochais, il avait tendance à nous prendre pour des copains et à oublier le volet professionnel de la chose. C’est peut-être la première fois que je voyais un serveur ne pas faire la part des choses, ne pas savoir si, à un moment donné, il était le serveur ou le copain. Et cela m’exaspérait. En plus, tous les soirs, il était pressé de partir. Il disait au cuisinier de fermer la cuisine à neuf heures avec une demi-heure d’avance et me disait que, lui-même, n’était pas payé que jusqu’à 22 heures. De fait, la maison refusait des clients avant 21h30 et il faisait tout pour faire croire que la maison ne faisait pas restaurant le soir. C’est facile : il suffit de ne pas sortir le menu et de ne pas mettre des couverts sur les tables. Alors, j’ai répondu en quelques mots, à la patronne, du genre : il a du mal à faire la différence entre les clients et les copains et a tendance à être très rapide à la fermeture ce qui fait qu’on a l’impression de gêner, au comptoir.

La troisième fois, c’était après l’embauche d’un nouveau serveur. Elle me dit : alors, il est bien, hein, le nouveau ? Pas de bol, je ne le sentais pas et je le lui ai dit. Le plus drôle, c’est qu’il est devenu un bon copain et que c’est elle, il me semble, qui a commencé à lui trouver des défauts, d’autant que ses collègues ne l’aimaient pas du tout.

Ce midi, j’avais faim. Je me pointe. Je commande une bière et un sandwich. Au bout de vingt minutes, je demande au serveur s’il ne m’a pas oublié. Au bout d’une demi-heure, il m’a amené un sandwich. Il avait mal fait son boulot, ne sachant pas gérer les priorités. Je le voyais, il était toujours derrière le comptoir, essuyant la vaisselle, servant d’autres clients. Toutes les consignes de l’ancien étaient oubliées.

Avant-hier, j’avais bondi : il avait apporté son plat à un client avant de lui amener les couverts puis il est allé chercher une corbeille de pain et le type avait dû réclamer une fourchette et un couteau. Et je vois bien que les clients habitués commencent à ronchonner. Mais un client habitué est un client habitué, il ne part pas s’il n’est pas content, il sait que la situation s’améliorera parce que le patron ou le serveur partira un jour.

Je ne connais pas les patrons de ce bistro. Le serveur finira par partir ou j’irai manger dans la brasserie à côté. Je ne parlerai pas au patron, il perdra sa clientèle d’habitués sans même savoir pourquoi, pensant que le départ de l’ancien a marqué une page qui se tourne.


Ce midi, il y avait ses quatre clients bruyants, à côté de moi. Ils boivent des pintes de Grimbergen. Forcément, au bout de deux verres, le ton monte et chacun veut se faire entendre. Ils finissent par un Calva (que l’un a renversé sur le comptoir devant moi). Le serveur leur a offert un autre Calva, pour la deuxième fois de la semaine. C’est une faute professionnelle… Il incite des clients bruyants à revenir et ne sert même pas une bière à un type qui mange là tous les midis depuis deux ans.

10 commentaires:

  1. "une formation au pas de charge, avec un tas d’ordre"
    Ça me rappelle les nouveaux venus en usine. On leur enseigne en 1/2 heure chrono le fonctionnement de l'atelier, et les postes sur lesquels ils vont travailler. De quoi se barrer aux premiers mots. Le chef d'équipe s'y prenait toujours comme ça. Ce qu'il avait appris en plus de 20 ans d'ancienneté, au fur et mesure des évolutions du mode opératoire, et des nouvelles techniques, il voulait que les nouveaux enregistre ça en même pas une heure. Heureusement que des ouvriers passaient derrière pour les rassurer et leur montrer le vrai boulot, sinon l'usine n'aurait trouvé personne pour remplacer qui que ce soit.
    Bref, il faut laisser sa chance à chacun. On ne peut pas être parfait au bout d'une semaine "d'apprentissage".

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    1. Ce n'est pas une demi-heure, c'est huit heures par jour dont deux de pointe pendant cinq jours. Il s'agit d'acquérir des réflexes, plus qu'une formation. La formation vient en parallèle : faire des cocktails, changer les fûts de bières, utiliser la caisse enregistreuse, s'organiser pour ne pas être dans le jus quand les serveurs de salle ramènent les verres salles pour les laver, préparer à l'avance les couverts, les carafes d'eau, faire la caisse,... sans compter tout ce qui ne peut être appris qu'avec l'expérience, comme la relation avec les clients,

      Il s'agit plus d'acquérir un tas de petits réflexes. Tu passes devant un client qui a son assiette vide, tu ne réfléchis pas, tu lui demande si ça a été et tu débarrasse son assiette en demandant s'il désire autre chose. Tu prends une commande d'un client, tu la tapes immédiatement dans la machine et tu viens immédiatement apporter les couverts et les condiments et dès que tu apportes l'assiette, tu amènes le pain. Des réflexes.

      Tu ne peux pas être parfait au bout d'une semaine mais le client doit être satisfait dès le premier jour.

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  2. Le clients est roi, mais souvent très ch… !
    Cela dit, c'est un métier qui demande un vrai tutorat dans une vraie période d'apprentissage. Aussi, il serait bon que toute personne débutante, soit accompagnée de A à Z dans cette période.

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    1. Oui mais il y a la partie "réflexes" qui doit d'acquérir. Et c'est un métier qui nécessite autre chose que de la compétence pour être pratiqué.

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  3. Je suis d'accord avec toi, Nico, c'est une question de logique et de bon sens. Quand on met la table chez soi, on met les couverts, le pain, l'eau, le sel avant d'apporter la nourriture. Ma soeur me dit souvent que je suis chiante au resto mais ayant été moi même serveuse, j'ai du mal à supporter de réclamer une carafe d'eau à plusieurs reprises. Et puis, autre chose que j'ai appris de mon passage chez Hippo : on ne repart jamais en cuisine les mains vides. Combien de fois je vois des serveurs ou serveuses brasser de l'air quand ils pourraient s'économiser des allers-retours ...

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    1. Oui. C'est délirant. Je me rappelle quand Jim est passé du comptoir en salle.

      Au fait ca me rappelle que je voulais te prévenir que je parlais de toi dans mon billet du blog politique d'hier.

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  4. ... et le client "est roi" ! :o)

    BISES à toi Nico et merci beaucoup pour ce partage sur ton blog.

    Bon dimanche !

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