Ma rage d’hier contre les vacances des autres a fait tâche d’huile solaire dans la
réacosphère que nous pouvons saluer. Didier Goux en personne se lâche contre les
touristes, ces malfaisants que nous devions conchier à longueur de journée.
Prenons un exemple. Je travaille à la Défense, ce glorieux quartier d’affaires de la Région Parisienne. C’est joli si on aime le métal, le béton et le verre. Sauf les vieilles tours. C’est même parfois très joli quand il fait un beau ciel bleu avec quelques gros nuages blancs. Les tours se reflètent entre elles, reflètent les nuages blancs et tout ce qu’il y a à refléter. Par exemple, parfois, des avions de ligne passent relativement bas (je suppose qu’un couloir aérien de Roissy passe au dessus de la Défense).
C’est très joli. Pas autant que les fesses de certaines serveuses de bistro de ma connaissance mais très joli. Enfin, pas autant que certains paysages des Cévennes ou de la Bretagne. Mais je connais des constructions humaines plus agréables à regarder.
La Défense est surtout un lieu de travail où les gens courent, sont moroses, … La Défense est jolie mais pas agréable.
Pourtant, il y a des
touristes. C’est une zone touristique officielle d’ailleurs, depuis qu’on peut ouvrir les commerces le dimanche dans les zones touristiques mais je ne suis pas dans mon blog politique.
Il y a des
touristes, des familles qui se promènent, regardent les tours, déambulent sans se rendre compte qu’elles gênent les mères de famille qui risquent de louper un RER et d’arriver en retard à la Crèche.
Si j’allais en vacances à New York, j’irai probablement visiter des tours. Quand on va dans ce patelin, c’est pour visiter Manhattan pas le Bronx. Figurez-vous qu’il y a des
touristes qui viennent à Paris et qui vont visiter la Défense.
Remarquez ! On en croise bien parfois à Bicêtre… J’imagine quand il passe devant la Comète : «
Oh ! Chéri ! Tu as vu ce magnifique bistro typiquement Parisien. Et les deux gros, au comptoir, le noir et le frisé, comme ils sont typique des gros Parisiens qui picolent au comptoir ! Et cette terrasse ! Pour un peu, on imaginerait Balmeyer et Gaël y vomir. »
A la Défense, il y a des vrais
touristes. Parfois, après déjeuner, je vais faire une promenade digestive, je musarde et observe les tours. Non. « Eux » viennent réellement pour
visiter.
Il y a une espèce particulière : le photographe. Généralement, il ne vient pas en famille mais tout seul. Il est souvent barbu, voire avec les cheveux longs. Il se prend pour un artiste. Il se met à quatre pates pour prendre des photos, comme si le mètre qu’il avait gagné allait changer la photo d’une tour de 160 mètres. Mais je ferais mieux de fermer ma gueule, je n’y connais rien. C’est lui l’artiste. Pardon, l’Artiste. Il a ça dans le sang. Il a une journée de congés, il fait beau, il se précipite à la Défense pour faire des photos de tours qui se mirent.
Il a un très bel appareil photo. Mais il est un peu vieux, sans doute. C’était un des premiers numériques Réflex. Il a probablement moins de mégapixel que mon iPhone mais je lui pardonne. Je n’ai rien contre les photographes, hein ! Moi, je passe mes vacances à faire des photos. Que je ne regarde jamais. Je les mets sur Internet et je fous l’URL dans le blog. Puis j’oublie.
Toujours est-il que le photographe artiste de la Défense mérite des baffes. Il considère les gens que nous sommes comme des éléments du décor, pas comme des êtres vivants. C’est d’une grossièreté abominable et j’ai parfois envie de les engueuler. Cet artiste abruti oublie que c’est notre quotidien, qu’on galère entre ces tours, qu’il pleuve ou qu’il vente. Qu’on est parfois épuisés après des journées de travail, des réunions à rallonge, des chefs qui gueulent, des clients qui braillent, des fournisseurs qui sont en retard et fournissent des explications encore plus pourries que celles que nous pourrions imaginer.
Et ce type, là, avec son appareil photo, nous vole notre décor en passant un moment de plaisir qui vire parfois à l’érection quand un 747 se mire bien dans un vitrage ad hoc.
Il y a aussi ces familles d’abrutis, avec des mômes braillards qui n’en ont strictement rien à cirer de l’architecture moderne et voudraient retourner à l’hôtel faire trempette avec les copains dans la piscine de l’hôtel, avec des adolescents boutonneux qui voudraient revenir au camping où la petite blonde, là, avec un peu d’acné, aussi, l’attend dans sa tente, derrière la caravane des parents. Et il y a les parents, qui trainent cette famille, mimant la joie à la découverte d’une nouvelle statue en tige d’aluminium qui n’était pas là la dernière fois.
Il y a les grands parents, qui se retrouvent avec la garde de bébé et qui se forcent à une promenade pour pas qu’il reste enfermé, le gamin est en sueur dans sa poussette, la grand-mère cherche de l’ombre et papy une buvette. Il faudra reprendre le métro, au retour, emmerdant tout le monde avec la poussette et le chiare chialant parce qu’il fait 40°, dans cette putain de rame.
Mais le pire n’est pas là.
Il y a aussi les bassins avec les jets d’eau. Qu’il fait bon, quand il fait chaud, de se mettre juste à côté, être vaguement éclaboussé par des goulettes fraiches alors que hier on gueulait parce qu’il y a eu une averse.
Alors les dames osent, elles enlèvent leurs pompes, retroussent leurs robes et vont marcher dans ces bassins. Alors, finalement, les parents enlèvent leurs fringues aux tous petits qui pataugent, les bien heureux ! Et les ados y foncent, tout habillés, espérant sécher avant de reprendre le RER. Un
touriste s’approche, dit à sa femme de se tenir debout devant le jet d’eau pour la prendre en photo. Il est content, il aura un souvenir.
Alors moi, je passe, je vais à ma réunion dans une autre tour, transpirant dans la veste que j’ai du garder parce que je vais voir un client important.
Et les
touristes sont heureux. Ils ont enfin un cadre en cravate à regarder. A photographier discrètement peut-être. Un cadre à encadrer.
Je ne peux pas les encadrer, ces touristes de la Défense.