02 juillet 2012

Hommage à Abdel, le roi du Maroc

L’association des clients de bistros de Bicêtre me charge de faire l’éloge funèbre d’Abdel, dit « Le Roi du Maroc », décédé samedi à un âge inconnu, pour des motifs encore inexpliqués mais que nous qualifierons volontiers de bagarre d’ivrogne. Pour la postérité.

Abdel,

Pendant de nombreuses années tu étais cuisinier au Brazza, Place de la République au Kremlin-Bicêtre. Tu te vantais dans tous les bistros de Bicêtre d’être un des meilleurs cuisiniers du monde. De fait, je suis allé manger une fois au Brazza avec le vieux Jacques, Jim et sa grosse. J’ai pris un steak frites. Il était raté. Les frites aussi.

Tu te vantais dans tous les bistros de Bicêtre d’être un des meilleurs pour toutes les activités que l’on pouvait imaginer. On te laissait parler parce que nous n’avions pas le choix et parce que tu criais tellement fort que ça nous lassait. Je dois même avouer que je t’ai poussé, plusieurs fois, à crier de plus en plus fort de manière à ce que le patron du bistro te vire.

Heureusement, tu étais souvent accompagné de Luigi. Il était aussi ivrogne que toi mais comme il avait peur d’être viré de tous les bistros du coin, il arrivait à te faire fermer ta gueule.

Pendant des années, 15 peut-être, 10 au moins, on s’est vus toutes les semaines, parfois tous les jours, jusqu’à ce que « ton accident » t’empêche à traîner dans tous les bistros. Ton accident ? J’ai mis le mot entre guillemets mais ça ne se verra pas au prononcé du discours. Il parait que tu t’étais cassé la gueule devant chez moi, de l’autre côté de la Nationale, un peu au dessus d’Assu 2000, vers ce petit bistro tout crado. Certains t’ont vu ensuite erreur vers le métro de Bicêtre. Après recoupement, la seule piste sérieuse que nous ayons pu trouver était que tu te serais fait casser la gueule par des mecs que tu aurais emmerdés, sur la Nationale.

Ton histoire de samedi soir est sans doute identique. Nous ne le saurons jamais mais, cette fois, elle a été fatale. Alors que nous devrions éprouver de la peine, voire une espèce de nostalgie, après toutes ces soirées, toutes ces turpitudes, toutes ces fois où j’ai aidé le patron d’un bistro à te virer, toutes ces fois où je t’ai convaincu que tu étais parti sans payer, la veille, que je ne vois ta mort que comme une des nombreuses aventures qui pourrait t’arriver.

A la limite, je t’imagine rentrer dans le bistro. Nous nous fouterions et ta gueule et tu nous engueulerais en rigolant comme un abruti : « Personne ne tue le roi du Maroc, le roi du Maroc est le plus fort. »

Mais quelqu’un t’a tué. Un accident, probablement, mais tu lui aurais sérieusement cassé les couilles auparavant ce qui l’aurait un peu poussé à… te pousser, que je ne serais pas plus surpris que ça. C’est ta vie, c’est ta mort.

Karim était peiné hier soir, il ne croyait pas ce qu’une telle histoire puisse t’arriver. Il ne croyait pas que tu puisses mourir, même sans avoir remboursé les 180 euros que tu lui devais. D’ailleurs, beaucoup de bistros sont en deuil, aujourd’hui.

Abdel,

Tu ne nous manqueras pas. Tu continueras de hanter tous les bistros de Bicêtre, comme les hante encore le vieux Robert, mort il y a environ 10 ans. Il y a tellement de turn over parmi les clients, de toute manière, qu’on y comprend plus rien. Nous étions peut-être les deux plus anciens dans ce triangle entre l’Aéro, l’Amandine et la Comète. Il reste Corinne et sa mère, on voit moins ton pote Luigi, le vieux Jacques et ma bande sont plus récent, sauf Patrice mais il traine moins dans le périmètre.

Tu me laisses seul à faire l’âme des bistros. Ca me fera la paix.

Patron,

Mets une tournée sur le compte d’Abdel. Peut-être reviendra-t-il payé, tordu comme il est.

Salut, Abdel !

10 commentaires:

  1. T'es dur dans ton hommage ... mais je suppose qu'à tous, il devait les briser menu ...
    Mais quand même ... sous cet emmerdeur éthylique, il y avait un type vulnérable et perdu ...
    C'est pas cool qu'il se soit fait mettre un coup de bambou à ce point. Et celui qui lui a mis ...t'imagines où il est ? ... en GAV criminelle à la souricière de Créteil et ce soir, pour des années, en milieu violent absolu à Fleury ou à la Santé ... J'en suis retournée, car même après des années, pareil pour les urgentistes, on n'arrive pas à être blindé ...
    Bz

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Apo,

      Je ne suis pas dur. Il les brisait menus à tous mais on l'aimait tous bien. Si on ne l'aimait pas, on l'aurait interdit de bistro (je parle de "on", mais il s'agit évidemment des patrons de bistro, pas de moi).

      Il est probable que l'autre soit en garde à vue quelque part, ce n'est jamais drôle.

      Mais c'est l'autre côté du décor que j'essaie de décrire. Celui d'un quotidien ordinaire.

      Tu ne devrais pas parler de "type vulnérable et perdu". Tu n'as pas à analyser un type que tu ne connaissais pas (et même si tu le connaissais...). Il avait choisi de vivre en marge des "normes", c'est tout. Ce n'était pas un clochard, un déchet, un marginal, ...

      Supprimer
  2. "vulnérable et perdu", ce n'était pas une évaluation, mais le rappel de ce que nous sommes tous, dans notre humanité, en dehors de notre rôle social, qu'il soit celui de Roi du Maroc ou d'Empereur de Chine.
    Bz

    RépondreSupprimer
  3. Non, c'est au contraite de la compassion pour lui et les deux autres protagonistes de cette histoire triste.
    Bz

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne pense pas qu'ils cherchent de la compassion. Je connaissais le mort : maintenant il s'en fout. Je ne connais pas le type qui l'a tué, mais j'imagine.

      Je connais Yvette. J'imagine qu'elle attend d'avoir la paix pour continuer sa petite vie, en espérant avoir du monde pour lui filer un coup de main. Elle ne veux probablement qu'on pense à elle. D'ailleurs, elle ne sait pas qu'on le fait.

      Supprimer
  4. C'est une blague? Non?
    DJ Abdel? Celui qui traîne avec Jamel Debbouze est mort? Il picolait en plus?

    Merde!

    RépondreSupprimer
  5. tu l'as poussé à gueuler pour se faire virer?manipulateur !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Faudra que je fasse un billet pour raconter toutes les conneries de ce genre que j'ai faites. Par exemple, j'ai un don pour les fausses colères, ce qui pousse le patron à intervenir, il a trop peur de perdre ma clientèle et c'est la seule solution pour trouver une solution définitive à un problème.

      Supprimer

La modération des commentaires est activée. Soyez patients !