15 mars 2011

L'ivrogne et le chaînon manquant

Le volet scientifique de ce blog n’aura échappé à personne même s’il m’arrive de me laisser aller à quelques gaillarderies pour amuser la galerie. Ainsi, ce week-end, j’ai commencé une série de billets de la plus haute importance à propos des ivrognes et autres pochetrons réguliers.

Le premier volet tournait autour de l’alcool et des antibiotiques, la conclusion étant qu’il vaut mieux arrêter complètement l’alcool, un verre en appelant généralement un autre.

Le deuxième volet portait sur ces poivrots qui nient être saouls, y compris le lendemain. La conclusion de nos experts dans leurs laboratoires (le 1880, la Comète, l’Aéro et l’Amandine) est formelle : 80 ou 90% des buveurs réguliers ne se rendent tout simplement pas compte qu’ils sont saouls car c’est un « état habituel ». Ils ne « nient » pas, ils ne « mentent » pas, ils ne se rendent tout simplement pas compte.

Je voulais faire un volet intermédiaire disant à quel point les soulots sont chiants, à raconter toujours des histoires sans intérêt, les répétant 15 fois, … J’en parlais d’ailleurs ce week-end avec un patron de bistro auquel je racontais mes trois semaines d’abstinence totale. Il m’a alors fait constater que ça avait été son quotidien, une douzaine d’heures par jour, avec le premier petit vieux qui débarque vers 10 heures du matin pour faire son tiercé et s’enfiler quelques petits blancs, jusqu’aux clients du soir, ceux qu’on a du mal à mettre dehors…

De fait, pendant ces trois semaines, j’avais vérifié : les pochetrons sont chiants. Je ne parle pas de l’aspect festif de la cuite et de l’euphorie qui s’en suivait mais de cette manie qu’ils ont de parler de choses sans intérêt. J’ai un de mes congénères, par exemple, qui me racontait tous les soirs le parcours qu’il avait pour venir au bistro en prenant bien soin de trouver un marchand de journaux sur sa route pour pouvoir acheter le France Soir pour faire les mots fléchés.

C’est un phénomène que j’avais déjà remarqué. Récemment, par exemple, il me fallait faire preuve de trésors d’inventivité pour éviter que Geneviève me raconte sa journée de travail ou qu'Henri me décrive ce qu’il avait pu ramasser en tant que ferrailleur, voire que Camille me dise le nombre de poulets rôtis qu’il avait vendus. Je suis un ours, je préfère ne rien dire (et ne rien entendre) plutôt que d’échanger des propos qui ne m’apprennent rien où ne me permettent pas de sourire ou de faire marcher mon cerveau. Toujours est-il que ces trois individus ne rentrent pas dans le sujet de mon étude : ils sont certes pochetrons mais aussi naturellement cons.

Je me rappelle d’une époque, il y a environ dix ans, où je retardais volontairement mon arrivée au bistro, les soirs où mes chefs ne me retenaient pas pour quelques tâches ingrates, pour laisser partir la première vague de pochetrons, celle des ouvriers qui, commençant leur boulot très tôt, arrivent vers 17 heures au bistro et sont déjà bien éméchés quand les bureaucrates sortent du bureau. Je vous le dis : la lutte n’est pas finie. Mais ceci n’est pas un blog politique.

J’en étais là, ce week-end, dans mon analyse de la pochetronerie ambiante et la préparation d’un billet sur les chieurs de bistro quand je me suis rendu compte qu’il manquait un chaînon dans tout le raisonnement.

Alors j’ai fait le test, hier soir. Une ultime vérification. Mon côté vicieux. J’ai commencé la soirée à boire du Vittel Menthe comme au cours des trois semaines passées laissant sous-entendre que ma décision était finalement définitive (alors que je subis les conséquences de trois semaines au Vittel Menthe : je suis intoxiqué et je crois bien qu’il me faudra bientôt faire une cure pour pouvoir arrêter). Ca n’est qu’ensuite, un peu avant 20 heures, que je suis passé à la bière, comme au bon vieux temps, à la surprise générale (sauf du patron, je l’avais prévenu pour qu’il puisse soigner ses relations avec ses fournisseurs de bière, de Vittel et de menthe).

Mesdames, Messieurs, avec cette expérience du plus haut intérêt scientifique, j’ai découvert un élément important qui permettra de faire un pas important dans la découverte de l’alcoolisme : un type d’intelligence normale (je dis ça pour exclure les cons qu’on évite, de toute manière, de fréquenter) qui picole régulièrement ne tiendra des propos sans intérêt qu’avec un type qui ne picole pas parce qu'il ne peut pas (je ne vous parle évidemment pas des gens complètements bourrés qui disent des conneries en permanence, juste des gens légèrement chauds).

En d’autres termes, jusqu’à ce week-end et après trois semaines d'abstinence, je pensais que c’était les deux premières bières qui me permettaient, avant, de supporter les conneries du vieux Joël (et de quelques autres) alors que la solution est beaucoup plus évidente : il ne racontent pas de connerie (« ah ! Oui, je suis monté là-haut pour acheter le pain mais j’ai préféré y aller en bus mais je suis redescendu à pieds, du coup, en passant, j’ai vu que le vieux Jacques buvait un coca en terrasse du Brazza » ou tout autre propos sans le moindre intérêt – à part la boisson du vieux Jacques, un peu surprenante) quand je bois de la bière.

Je répète pour être sur que ça rentre bien dans votre crâne : je croyais que la bière m’aidait à supporter les propos chiants du vieux Joël alors qu’en fait c’est le fait que je n’en boive pas qui pousse le vieux à les débiter

Et en effet, depuis quatre ou cinq ans que je passe toutes mes soirées avec ce vieux schnock que j’adore sinon je ne passerais pas mes soirées avec lui, il n’y a qu’au cours de ces trois semaines qu’il m’a parlé de conneries (« ah je n’arrivais pas à dormir, du coup j’ai pris un somnifère alors je me suis réveillé trop tard et il a fallu que j’appelle le toubib pour lui dire que j’étais en retard au rendez-vous mais comme ma femme a pu se libérer pour m’y amener parce que ma propre voiture ne marche pas j’ai pu arriver à l’heure », vous pensez bien que je ne vais pas passer mes soirées à entendre ce genre de propos stupides).

Nous pourrions tenter d’en tirer des conclusions, des conséquences ou des raisons mais il faut encore que ça murisse. Je pense qu’on arriverait assez facilement à déduire que le pochetron se sent obligé, inconsciemment, de parler de choses sérieuses à une personne dans l’impossibilité de boire.

Qu’en pensez-vous ? Quand pensez-vous, d’ailleurs ?

31 commentaires:

  1. *** Quand je pense ? JAMAIS !!! ;o)))) ça fait trop mal à la tête de penser ! ;o)

    et qu'est-ce que je pense de ton analyse ??? et bien tu crois vraiment Nico que les pochetrons profiteraient consciemment ou inconsciemment de ceux qui boivent du Vittel Menthe ???
    Bon alors pour moi ce sera un Coca Light ! ;o))))))

    BISOUS et bon après-midi Nico ! :o) ***

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  2. J'en pense
    1 que tu écrit drôlement bien .
    2 que le vieux raconte toujours des conneries; que tu te sentais "obligé" d'ingerer en même temps que la biere, (sorte de bienvenue chez nous)le fait que tu soies au vittel te dégage de ce cercle de con-passion, le gage étant de l'écouter.
    A quand un analyse du reflet du miroir derrière le bar ?.

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  3. Nancy,

    Je n'ai pas dit qu'ils "profitaient", au contraire, ils se sentent "obligés" d'avoir une conversation un peu sérieuse et, du coup, n'ont que des conneries à dire.

    Fidel,

    Merci, mais NON, il ne raconte pas toujours des conneries ! Hier soir, j'ai bien tout noté et étudié chaque conversation...

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  4. ah oui tiens c'est curieux d'essayer d'avoir une conversation "sérieuse" quand on est accompagné par quelqu'un de sobre...

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  5. Gaël,

    Ca rejoint un des deux premiers points que j'évoquais : la négation de la cuite...

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  6. moi je n'ose jamais nier, tu connais ma douce et tendre :)

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  7. Gaël,

    A ma connaissance, tu n'es pas un buveur régulier, juste un type qui aime bien la fiesta à l'occasion...

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  8. ah merci ! je fais une capture d'écran ! :)

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  9. à l'occasion, c'est à dire quand tu n'as pas fumé un tas de machins interdits.

    OK pour la copie d'écran, maintenant.

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  10. argh ! je vous interdis monsieur ! :) des erreurs de jeunesse, toussa ! :)

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  11. ah mais ça fait bien longtemps que j'ai dit "non à l'herbe qui fait rire bêtement" :)

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  12. Je trouve ta théorie scientifique un peu emberlificotée : ne t'es-tu jamais dis que les propos étaient peut-être les mêmes mais le récepteur tout simplement pas en phase ? En d'autre termes, si tu commences à être un peu désinhibé ou chaud tu t'accorderas d'autant avec ton interlocuteur.
    Il m'est arrivé plein de fois avant, de m'envoyer à toute vitesse 2 ou 3 pintes pour pouvoir comprendre des copains qui avaient de l'avance :)

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  13. "le pochetron se sent obligé, inconsciemment, de parler de choses sérieuses à une personne dans l’impossibilité de boire"

    Pour montrer combien c'est un sacré mec, combien il tient bien le coup et combien son cerveau fonctionne à tous les coups ! Même pas étourdi ! ;-))

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  14. Vlad,

    Non, je parle d'autre chose. On connait tous le phénomène, le pire étant que les copains qui sont en fiesta ne comprennent pas que toi tu ne l'es pas encore...

    Par contre, si tu ne bois pas, un phénomène quelconque pousse les gugusses à parler de sujets qu'ils pensent sérieux pour "se montrer" qu'ils sont comme toi, qu'ils n'ont pas de problème avec l'alcool.

    J'ai cru pendant un temps que c'était ma propre perception qui était faussée, mais non, ce sont bien les sujets de conversation qui changent...

    Je n'ai cité qu'un exemple mais je pourrais en trouver d'autres. Tiens ! Le vieux, je passe toutes les soirées (enfin quand on sort) avec lui : il n'est pas le même homme le samedi soir parce que c'est la patronne qui fait la fermeture (c'est le seul soir) et elle vient discuter avec nous dès lors qu'elle n'a plus d'autre client au comptoir et qu'il n'est pas encore l'heure de faire la fermeture...

    Cuicui,

    Oui, mais ils le font inconsciemment donc le nient ensuite. Le pire est qu'ils abordent forcément des sujets ridicules, notamment le vieux puisqu'il n'aime pas le foot (généralement les pochetrons parlent de foot...).

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  15. Ah ouais j'ai compris. C'est dingue. très intéressant, je vais scruter la chose la prochaine fois.
    Remarque c'est logique quelque part, les millions d'années d'évolution de l'espèce humaine auraient été vaines si nous n'avions en nous-même nos fantastiques capacités d'adaptation. Le vieux quand il te vois avec ton vittel-menthe, ben il s'adapte...Pour survivre dans un monde sobre

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  16. Vlad,

    Oui, il y a un peu de ça.

    Dans le billet, j'écris ça : "’en parlais d’ailleurs ce week-end avec un patron de bistro auquel je racontais mes trois semaines d’abstinence totale. Il m’a alors fait constater que ça avait été son quotidien, une douzaine d’heures par jour, avec le premier petit vieux qui débarque vers 10 heures du matin pour faire son tiercé et s’enfiler quelques petits blancs, jusqu’aux clients du soir, ceux qu’on a du mal à mettre dehors…"

    Tu peux vérifier. Essaie d'écouter une conversation sérieuse entre un de tes voisins éméchés et le patron en faisant abstraction de "ton envie d'y participer".

    Soit le mec raconte des conneries de cuite, et là, c'est normal, le patron subit parce que c'est son métier.

    Mais s'il raconte des trucs sérieux, observe bien les détails...

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  17. OK, j'aime bien observer ces trucs-là en plus, merci. A quand une reconnaissance officielle de ton blog par la communauté scientifique ?

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  18. Il faudrait !

    Le problème c'est qu'il faut être vraiment habitué aux bistros où ça se passe et connaitre bien des gens car analyser des proches est très dur.

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  19. "analyser des proches" il y a un R de trop :)

    [je suis déjà parti] :)

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  20. Encore du Audiard. J'adore !

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  21. J'ai l'expérience du bistro, aussi...

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  22. Mouarf ! Je rentre à la maison après une soirée calme (j'étais coincé par des andouilles sobres). Dans l'ascenseur, je suis tombé sur un voisin (que je connais depuis des lustres, mais que de vue, il est probablement membre du conseil syndical) : il correspond parfaitement à la description que je fais des mecs bourrés qui ne s'en rendent pas compte et qui essaie de noyer le poisson alors qu'ils n'en ont pas besoin...

    Plutôt que de me lancer un simple "bonsoir", il est parti sur une discussion sur le fonctionnement de l'ascenseur de l'immeuble voisin (membre de la même copropriété), ce dont je me fous totalement (et lui aussi, vu qu'il en ricanait).

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  23. Quand je vois ce genre de billet je me dit
    1-Respect
    2-Putain faut que je bosse mon style.
    3-Merde je dois me lever à 4H30 parce que je dois aller filer un cours à Grenoble.
    4-Tiens j'ai pas bu une goutte aujourd'hui j'ai bien droit à un whisky pour me récompenser d'avoir été sage.
    5-Qu'es ce que je me suis marré en lisant le billet
    6-Pourquoi le vieux Jacques est au coca ?

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  24. Vlad,

    Oui... L'homme qui tombe à pic pour conclure un billet de blog.

    Romain,

    Bois un coup ça ira mieux et merci ! (le coup du vieux Jacques n'était qu'un exemple, sois rassuré...).

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