20 juin 2011

Au nom du père, du fils et du Saint Apéro

Quand je suis arrivé au bistro, samedi midi, ce grand gaillard avait les yeux bien rouges, comme s’il avait pleuré, en fait, il nous faisait une grosse colère : son père refusait de venir immédiatement acheter un nouveau téléphone mobile vu qu’il s’était fait piquer le sien, la vieille.

Le refus du père m’arrangeait assez bien : s’il partait, qui aurait assuré le service dans le bistro ?

Il nous faisait un de ces bordels, le fiston ! 13 ou 14 ans. 1m80 ou presque mais un visage de poupon auquel on ne peut que s’attacher. Un peu la tête de Charlotte Gainsbourg, dans l’Effrontée, un peu androgyne, quoi…

« Mais viens ! Quoi ! Tu n’as qu’à baisser le store, on en a pour cinq minutes, il n’y a pas de client »… Tous les arguments y sont passés. J’ai beaucoup aimé le « il n’y a pas de client », comme si Corinne, sa mère et moi, n’étions même pas des clients mais des éléments du décor. Alors le père promettait « Oui oui on va y aller mais pas maintenant » « Mais à quelle heureeeee ? » « Ah ! Puisque tu me fais chier on n’ira pas ! » « Mééééé ! Tu m’avais promis. » « Oui, ben on ira lundi ! » « Mais je ne serai pas laaaa, je serai chez maman. » « Bon ben on ira pas, tu m’énerves,… » « Méééé, ça prend cinq minutes, t’as qu’à fermer, on y va maintenant ».

Les deux s’énervaient et ça a duré au moins vingt minutes. J’aime bien prendre l’apéro peinard, discutant d’une oreille et tweetant de l’autre. Alors je suis intervenu.

« Bon, les clowns, vous nous faites chier, toi patron, tu nous sers une tournée, et toi tu réfléchis un peu… Comment veux-tu que ton père gagne de l’oseille pour t’acheter un téléphone si tu l’empêches de travailler et l’obliges à fermer ? Déjà tu fais un tel bordel qu’on n’a pas envie de rester là mais en plus s’il ferme, les clients qui pourraient se ramener prendraient l’habitude d’aller ailleurs. C’est pourtant évident de comprendre qu’on ne peut pas fermer un bistro à l’heure de l’apéro. Et s’il y a peu de clients, c’est le hasard, mais le pognon est toujours bon à prendre. On ne ferme pas un bistro, c’est un métier. Quand tu te fais chier en classe, tu restes quand même en cours, non ? » Corinne et le patron étaient surpris, je n’ai pas la réputation d’aligner plusieurs phrases consécutivement, malgré ce qu’on pourrait penser en lisant mes blogs.

Toujours est-il que le môme a fermé sa gueule jusqu’à la fin de l’apéro.

C’est incroyable à quel point un père et un fils son parfois incapable de se parler. Il suffisait que le père dise à son fils « On y va après 14 heures, dès qu’il y a un trou… » C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait, le patron a profité qu’il n’y avait qu’une seule cliente, une habituée, pas encore murgée…

Je l’ai appris le lendemain, revenant prendre l’apéro avec les mêmes (mais le bistro était plein). J’ai posé directement la question au patron et il m’a tout raconté, avec le sourire du père attendri qui raconte les bêtises de son rejeton.

« Bon, ben mets nous une tournée, un Kir pour mamie, un Vittel Fraise pas trop frais pour Corinne et un Ricard pour moi, pour la fête des pères » Regard subitement maussade du père : « Il ne m’a même pas appelé, ce petit con ».

Précisément à cet instant, son téléphone a sonné. Il a regardé l’écran.

Sourire de nouveau… C’était le fiston.


13 commentaires:

  1. Que c'est mignon tout plein tout ça !
    ;^)

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  2. Belle tranche de vie avec une tranche de cake!

    Jean-Jacques U.

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  3. @Nicolas
    Euh ...Quoi ? Le fiston n'a pas téléphoné pour souhaiter une bonne fête à son papa ?
    Il demandait des sous pour la coque de sécurité-choc de son nouveau mobile ...

    Alors là, c'est pas mignon du tout! En effet !

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  4. Un merdeux de 14 ans n'a pas à avoir de téléphone portable : collez-moi ça aux enfants de troupe pour lui apprendre un peu le respect dû aux aînés.

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  5. Didier,

    Je ne sais pas à quel âge à un merdeux doit avoir un portable mais vous avez raison, il y a bien un problème de respect. Je voulais d'ailleurs orienter le billet dans ce sens mais je n'ai pas voulu charger la barque. Le père, divorcé, obligé de travailler le week-end, incapable de se faire respecter par un fils à l'âge bête que la mère lui refile parce qu'un juge quelconque a décidé qu'un gamin irait en week-end chez son père. Le père se sent fautif et gâte la progéniture alors que des baffes s'imposeraient.

    Baffe, que j'ai su donner : le môme m'a écouté. J'aurais du faire de l'élevage.

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  6. Vous allez devenir expert en familles décomposées – pardon : REcomposées.

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  7. Merde ! J'ai oublié le mien !

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  8. Tu as pris son numéro pour pouvoir le conseiller de manière plus régulière ? Tu as une influence positive sur le fiston !
    :-)

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  9. Allons bon ! Poireau dans mes archives...

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